vendredi 14 octobre 2016

142. Le serpent et les talons aiguilles

Un ami m'a récemment demandé quel était mon premier souvenir d'Afrique. Je lui dédie cette réminiscence que j'ai eu beaucoup de plaisir à faire resurgir d'un passé  lointain



Lorsqu’on demande à quelqu’un quel  est son premier souvenir , en général, on le plonge dans l’embarras. C’est difficile de se rappeler la première image qui s’est imprimée dans la mémoire… Il y en a certainement plusieurs qui pourraient revendiquer ce titre de premier souvenir, mais l’esprit est ainsi fait, que c’est l’histoire la plus spectaculaire qui sera retenue.

J’ai 3 ans . Je suis seule à la maison, avec le boy maison, Leonard.
Maman et papa travaillent, je ne vais pas encore à l’école maternelle, et Leonard est mon meilleur ami. Ce doux géant noir gère la maison, et me surveille. C’est l’homme le plus fort que je connaisse - je passe beaucoup de temps juchée sur ses épaules pendant qu’il travaille-  et c’est aussi l’homme le plus gentil du Congo.   Il me protège des foudres maternelles quand je fais des bêtises, et sa patience vis-à-vis de moi est à la mesure de son adoration :  sans limite.

Ce jour-là, je délaisse mes jouets pour une exploration autrement plus divertissante : les chaussures de maman. Nous sommes en 1960, les dames se chaussent d’élégants escarpins à talons aiguilles, et ma mère range les siens dans une magnifique boîte bleu nuit décorée d’étoiles. Maman est la plus belle de toutes les mamans, cela va de soi,  mais lorsqu’elle s’habille pour sortir le soir avec papa, je suis tellement  éblouie par tant d’élégance et de beauté, que j’en oublie d’être triste et constate qu’elle est aussi la plus  belle dame du monde. Surtout avec ces chaussures merveilleuses !

La boîte bleue à étoiles  est rangée dans un placard  en hauteur, hors de ma portée. Mais c’est mon jour de chance , aujourd’hui  Leonard a pour mission de nettoyer les  chaussures. Tandis qu’il cire les mocassins de mon père,  je me suis emparée des escarpins à talons aiguilles. Chaussée de ces trésors tant convoités, je  m’éloigne d’un pas vacillant, ravie du claquement sonore que mes pas produisent sur le carrelage du couloir. Je passe par le garage, et me retrouve dans l’allée qui mène à la rue devant la maison. « L’avenue Derscheid » n’est en réalité qu’un modeste chemin en latérite  assez large pour laisser passer les rares véhicules des résidents de la rue. Ils sont d’ailleurs tous au travail, je ne risque  pas de me faire renverser par une voiture. 

Dans  la maison, j’ai déjà trébuché plusieurs fois, ce n’est pas facile de marcher comme la plus belle dame du monde quand on n’a que trois ans et si peu d’expérience,  mais sur la terre battue recouverte de sable bleu(1)  , je m’aperçois bien vite que rester debout chaussée de ces grandes chaussures est une mission totalement impossible pour une petite fille de mon âge , d'’autant que sans le claquement des talons sur le sol, l’expérience perd beaucoup de son intérêt. Je m’apprête alors à faire demi-tour vers la maison  pour retrouver la stabilité rassurante du carrelage, mais je perds l’équilibre et tombe dans le fossé qui longe la route. Ces fossés, profonds d’un peu moins d’un mètre, sont destinés à recueillir l’eau de pluie, et sont envahis d’herbes hautes. 

Je ne me suis pas fait mal, mais tandis que je me demande comment sortir de là, (80 cm c’est très haut pour un enfant de trois ans) je m’aperçois que je ne suis pas seule…...

Dans le fossé, un énorme python que ma chute a réveillé, m’observe  d’un air surpris . ( « l’air surpris », c’est pour que vous compreniez le suspense de l’histoire , car maintenant que je suis grande, je sais que les vrais  serpents sont totalement inexpressifs , pas comme Kaa dans le livre de la jungle) . L’animal  en face de moi est vraiment … gigantesque et très effrayant.  

Je ne saurai jamais   s’il était  encore engourdi par une digestion récente, ou s’il s’était  approché de la maison attiré par les proies faciles du poulailler ( nous avons souvent trouvé des pythons  dans le jardin),  je peux seulement dire que ces énormes serpents sont capables d’avaler des proies bien plus grosses qu’un enfant de 3 ans.

Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur. Leonard est arrivé pour m’extirper du fossé.  Je crois bien me souvenir que mon doux et pacifique héros  m’ait administré ce jour-là l’unique fessée de nos 17 ans de vie commune .

Lorsque bien des années plus tard, à la maison j’évoquais cette aventure,  je ne suscitais aucun émoi.  Mes parents et mon frère n’avaient aucune raison de croire cette histoire dont ils n’avaient aucun souvenir. 


Et pour cause….A l’époque des faits, ni Leonard, ni moi n’avions de raisons de la divulguer .J’ aurais certainement  subi  une punition exemplaire et lui aurait risqué  de  perdre son travail. 



(1)(1)    des scories de cuivre étaient versées sur les routes en latérite afin de réduire la poussière soulevée au passage des véhicules. Ce sable était bleu.

10 commentaires:

Marty a dit…

bonjour Karine ! ça fait plaisir de te revoir avec un si joli souvenir ! et dire que le serpent aurait pu te dévorer avec les chaussures de maman !!! il a dû avoir très peur ton géant pour te donner une fessée !
mon premier souvenir j'avais trois ans aussi ! ma mère, la plus belle du monde aussi, revenait de la maternité avec ma soeur, dans une voiture noire ! j'étais à la fenêtre sur un tabouret, ma grand'mère me tenait ! c'était à Baden-Baden !
avec ton histoire, tu fais renaître les souvenirs aux autres!
je te souhaite plein de bonnes choses

Karine A a dit…

Merci Marty. Bientôt nous lirons ton histoire avec une jolie illustration ?

Karine A a dit…
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ELFI a dit…

brr avec un frisson.. :)))

martinealison a dit…

Bonjour,

Oh ! oh ! quelle effrayante histoire...
Vous avez eu beaucoup de chance.

Bébé aussi j'ai eu une aventure avec une vipère.
Ma mère avait placé le couffin dans lequel je dormais à l'ombre sous un arbre près de la rivière.
Dans le couffin se trouvait mon biberon rempli de lait. Au moment où elle est venue voir si je dormais toujours, elle a aperçu une vipère enroulée autour du biberon, sans doute attirée par le lait.
Elle avait alors saisi le couffin et m'avait projetée au loin. J'avais roulé au sol dans l'herbe et la vipère effrayée s'en était allée...

Gros bisous à vous de Portland dans le Maine où je me trouve en ce moment.

Edi a dit…
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Edi a dit…
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Edi a dit…
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Unknown a dit…
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Unknown a dit…
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