Le feu passe au rouge. Le
T dans lequel débouche la double avenue est un axe important.
Un vieil homme
hésite au bord du trottoir. Il semble évaluer la distance , à multiplier par
deux, pour arriver de l’autre côté. Il se lance. Pose un pied chancelant sur la chaussée,
qu’il tâte du bout de sa canne , laquelle répercute d’un léger tremblement
toute l’incertitude du geste. Précautionneux, l’autre pied glisse, rejoint
chaussure et bout de canne qui l’attendent 15 cm plus loin. L’homme vacille, tangue, oscille, tandis que la
séquence se répète : cloc la canne, tap, le pied , shhhht l’autre
pied. Il est presque au terme de la
première voie d’accès , lorsqu’il
s’arrête, visiblement indécis : a-t-il le temps d’arriver de l’autre côté ?
Il se balance au rythme de son
hésitation. La canne, agitée par le désarroi du vieillard, vibre.
Finalement ;
il a rejoint l’accotement de séparation des deux voies d’accès. Le feux est
encore vert, mais pour combien de temps ? De nouveau, son corps soubresaute
, penche, raconte le dilemme , l’hésitation lui fait perdre un temps
précieux, il le sait, et d’un haussement d’épaule il s’admoneste et repart. A
présent le temps est contre lui ,
et, résolument, il inflige à sa canne, et à ses pas un déplacement heurté,
une accélération contre laquelle tout son vieux corps proteste , il vacille à
chaque pas, sa carcasse frémit comme les voiles d’un navire en pleine
tempête. L’effort a courbé encore
davantage sa silhouette , et , au moment où le feu devient rouge pour lui, il
s’arrête. Pourtant, il lui reste deux
pas à faire pour rejoindre la sécurité du trottoir.
Il regarde devant lui, et, …. se redresse. Miraculeusement, sa canne se fait légère,
désinvolte. Et c’est d’un pas déterminée et assuré qu’ il termine son parcours.
Lorsqu’il atteint
le trottoir, il se retourne, le dos bien droit et le visage illuminé d’un sourire merveilleux. Il suit du
regard deux femmes, ni jeunes ni
vieilles, ni minces ni grosses, pas vraiment belles, mais joyeuses dans leurs robes
colorés. Elles trottinent et se hâtent
de traverser avant que les voitures ne démarrent.
Tout à leur conversation animée et amusées par
leur course d’écolières en maraude,
elles n’ont pas conscience du miracle dont elles sont la source….
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