mardi 18 août 2020

143. LE FEU ROUGE

 

Le feu passe au  rouge.  Le T dans lequel débouche la double avenue est un axe important.

Un vieil homme hésite au bord du trottoir. Il semble évaluer la distance , à multiplier par deux,  pour arriver de l’autre côté.  Il se lance.   Pose un pied chancelant sur la chaussée, qu’il tâte du bout de sa canne , laquelle répercute d’un léger tremblement toute l’incertitude du geste. Précautionneux, l’autre pied glisse, rejoint chaussure et bout de canne qui l’attendent 15 cm plus loin.  L’homme vacille,  tangue, oscille,  tandis que la  séquence se répète : cloc la canne, tap, le pied , shhhht l’autre pied.  Il est presque au terme de la première  voie d’accès , lorsqu’il s’arrête, visiblement indécis : a-t-il le temps d’arriver de l’autre côté ? Il se balance  au rythme de son hésitation. La canne,  agitée par  le désarroi du vieillard, vibre. 

Finalement ; il a rejoint l’accotement de séparation des deux voies d’accès. Le feux est encore vert, mais pour combien de temps ? De nouveau, son corps soubresaute , penche,  raconte le dilemme ,  l’hésitation lui fait perdre un temps précieux, il le sait, et d’un haussement d’épaule il s’admoneste et repart. A présent  le temps est contre lui , et, résolument, il  inflige à sa  canne, et à ses pas un déplacement heurté, une accélération contre laquelle tout son vieux corps proteste , il vacille à chaque pas,  sa carcasse frémit  comme les voiles d’un navire en pleine tempête.   L’effort a courbé encore davantage sa silhouette , et , au moment où le feu devient rouge pour lui, il s’arrête.  Pourtant, il lui reste deux pas à faire pour rejoindre la sécurité du trottoir.

 Il regarde devant lui, et,  …. se redresse.  Miraculeusement, sa canne se fait légère, désinvolte. Et c’est d’un pas déterminée et assuré qu’ il termine son parcours.

Lorsqu’il atteint le trottoir, il se retourne, le dos bien droit et le visage  illuminé d’un sourire merveilleux. Il suit du regard deux  femmes, ni jeunes ni vieilles, ni minces ni grosses, pas vraiment belles, mais joyeuses dans leurs robes colorés.  Elles trottinent et se hâtent de traverser avant que les voitures ne démarrent.  

 Tout à leur conversation animée et amusées par leur course  d’écolières en maraude, elles n’ont pas conscience du miracle dont elles sont la source….