Le métro est bondé de monde. Les gens serrés les uns contre
les autres affichent cet air d’ennui absent,
tentative quotidienne et dérisoire d’ échapper à une promiscuité
imposée, parfois déplaisante . Il fait chaud, l’air ne circule pas et les
manteaux vestes et écharpes deviennent
des prisons d’inconfort, car comment manœuvrer pour s’en défaire, quand le
moindre mouvement semble impossible ?
Elle est jeune,
fraîchement débarquée dans cette ville , elle n’a pas encore perdu la faculté de sentir
la présence des autres, ni même de les
voir. Elle voudrait lire, mais debout, bousculée au gré des passagers qui
montent ou descendent de la rame de métro, comment faire ? Pour passer le temps, elle observe les voyageurs autour d’elle, elle avise une place libre non loin de
l’endroit où elle se trouve.
Étrange. À part elle, personne ne semble avoir vu cette
île de confort qui offre sa tache de
skaï orangée comme une provocation claire et fraîche dans cet
univers oppressant . Jouant doucement des coudes elle s’approche
et , du regard, interroge la dame d’âge
mûr dont le visage trahit la fatigue d’une journée de travail. Ni elle ,
ni la jeune maman qui porte son gamin
endormi dans les bras, ni l’ado qui tangue au rythme de la musique diffusée
dans ses écouteurs ne semblent vouloir profiter du siège libre.
Elle s’assied donc .
Elle s’assied et comprend pourquoi les autres n’ont pas voulu de ce siège.
L’odeur.
Sueur, laine mouillée, vin .
Non pas vin : bière. L’homme assis à côté d’elle tient à la main une bouteille de bière, qu’il sirote à l’économie. Il a les cheveux gris, assez longs, hirsutes. Une barbe de quelques jours ombre un visage émacié. Il serait difficile de déterminer son âge, car c’est plus la vie des rues qui marque ce visage que le poids des ans . Il est habillé de cette manière étrange et pratique de ceux qui portent sur eux tous les vêtements qu’ils possèdent. Pardessus, veston, écharpe ont connus des jours meilleurs, mais n’ont pas su si bien épouser les formes de l’occupant précédent. L’homme et sa tenue se confondent. Ils sont indissociables. Elle pense que même en été, il doit être habillé comme cela. Lui aussi la voit, ils se saluent d’un sourire. Puis elle sort un livre de son sac, tandis qu’il replonge dans la contemplation absente de sa bouteille .
Elle s’assied et comprend pourquoi les autres n’ont pas voulu de ce siège.
L’odeur.
Sueur, laine mouillée, vin .
Non pas vin : bière. L’homme assis à côté d’elle tient à la main une bouteille de bière, qu’il sirote à l’économie. Il a les cheveux gris, assez longs, hirsutes. Une barbe de quelques jours ombre un visage émacié. Il serait difficile de déterminer son âge, car c’est plus la vie des rues qui marque ce visage que le poids des ans . Il est habillé de cette manière étrange et pratique de ceux qui portent sur eux tous les vêtements qu’ils possèdent. Pardessus, veston, écharpe ont connus des jours meilleurs, mais n’ont pas su si bien épouser les formes de l’occupant précédent. L’homme et sa tenue se confondent. Ils sont indissociables. Elle pense que même en été, il doit être habillé comme cela. Lui aussi la voit, ils se saluent d’un sourire. Puis elle sort un livre de son sac, tandis qu’il replonge dans la contemplation absente de sa bouteille .
Elle lit à présent, toute son attention s’est portée
sur le livre . Il en profite pour
l’observer à la dérobée. Elle est jolie. Un léger sourcillement indique
l’effort de concentration. Les traits de
son visage traduisent l’attention. Le livre est petit, probablement une édition
de poche, à couverture souple. Une édition économique, un livre « sans valeur » donc,
et pourtant il y a dans la manière de
lire de la jeune fille, dans sa façon de tenir le livre posé sur les genoux avec
précaution , d’en tourner lentement les pages d’un doigt léger , quelque
chose de profondément respectueux qui captive l’homme. Il tente de découvrir le
titre du livre, il attend qu’elle en révèle la couverture au détour
d’une page , ou d’un chapitre .
Il veut tellement savoir , qu’il en oublie de téter sa bouteille . Il attend , et cette attente
fige le temps qui glisse, les arrêts se succèdent sans qu’il y prête
attention.
Soudain, elle bouge, place le marque page là où sa lecture
s’est interrompue, pose le livre fermé sur le siège (du côté du quatrième de
couverture. Il a beau loucher, c’est écrit trop petit, le titre continue à lui
échapper). Il frémit. Serait-elle déjà arrivée ? Non, tandis que la rame
de métro s’est immobilisée et échange son flot de passagers ,elle est restée
assise. Elle fouille dans son sac dont
elle sort un stylo.
Un stylo ? Il
est inquiet , alarmé. Il espère voir surgir du sac, un cahier, un carnet de
notes. Mais non. Il est tout à fait
désolé à présent qu’il voit qu’elle a repris sa lecture, armée du stylo
sacrilège.
Elle souligne ! Il frémit. Horrifié et terriblement déçu, il s’apprête à voir la jeune fille opérer la profanation du
livre. Il attend de voir le stylo baver
son encre noire ou bleue sur les pages , comme quelqu’un qui
assiste impuissant à la condamnation d’ un ami. La main court rapidement sur les lignes . La
pointe du stylo s’arrête rarement, hésite parfois au-dessus d’un mot, d’une
phrase, repart, revient, et trace doucement
un trait en milieu de page. Il
voudrait échapper aux maléfices de cet
enchantement cruel où, pendant quelques
minutes , une jeune fille lui a fait oublier qui il était, lui a fait oublier la bouteille, la rue, la
solitude. Il voudrait détourner les yeux mais malgré lui Il se penche un peu pour mieux
voir.
Et il ne voit
rien. Elle souligne pourtant, mais le
trait est léger, presque invisible.
Hésitant, comme s’il s’excusait de s’introduire dans ces pages sacrées.
Dans la main de la jeune fille, ce qu’il a pris pour un
stylo est un porte mine, joli, élégant, dont la mine de plomb, si fine et
discrète, ne fait qu’effleurer les caractères du livre.
Un petit rire de soulagement
échappe au clochard, qui tire la jeune fille de sa lecture. Elle le
regarde étonnée, interrogative.
-
« Mademoiselle,
vous m’avez fait très peur, mais je suis
heureux de constater que vous n’êtes pas une iconoclaste ». Devant la
perplexité de la jeune fille, il poursuit :
-
« Le
livre, vous le traitez bien, avec
respect. Comme un ami. » Comme elle
sourit, il ajoute presque comme s’il s’excusait :
-
« j’aime
beaucoup les livres. j’en ai quelque uns, pas beaucoup, mais j’y tiens énormément .J’ai
trouvé dans les galeries du métro une cachette, où ils sont à l’abri, bien au
sec. »
Le métro s’arrête, elle sursaute, se dépêche de ranger le livre et le porte mine dans son sac,
elle se lève, et avant de se précipiter vers les portes ouvertes, elle échange
avec l’homme un regard et un sourire . Dans ce regard et dans ce sourire,
il y a une connivence absolue, une compréhension mutuelle profonde et
paradoxale . Tout les sépare, ils ne se connaissent pas, et pourtant, ils
se sont reconnus, réunis l’espace d’un instant
autour de l’amour du livre.
4 commentaires:
joli texte.. et belle illustration!
ou le contraire..
magie des mots et des livres
c'est tout un univers ouvert à tous
pourvu qu'on aime lire, toucher le papier...
merci / bises
Chapeau ! Tableau et histoire splendides... n'importe qui, qui a déjà pris le métro parisien s'y retrouvera. A bientôt peut être ?
Bravo, autant par la magie des mots que par celle de ton aquarelle!
De vrais talents d'artistes, Karine!
Amitiés et A+!
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